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« Mille saisons. L’éveil du palazzo » : Léo Henry ravit nos âmes d’enfant

« Mille saisons. L’éveil du palazzo », de Léo Henry, Le Bélial’, 368 p., 23,90 €, numérique 13 €.
Dans la gigantesque ville-univers de Pré-aux-Oies, drastiquement hiérarchisée, avec ses quartiers filtrés et isolés les uns des autres, Lazario est un moins que rien, un orphelin né de la rue, marmot de la guilde des ramoneurs ayant dû fuir la justice après un tragique accident. Alors que le ciel se déchaîne et que la fange des bas-fonds menace de déborder, c’est pourtant de lui que naîtra l’étincelle susceptible de remettre en cause le pouvoir absolu de la Régentine et de ses six polices (à Pré-aux-Oies, tout marche volontiers par six), défendant chacune un pan de l’ordre teinté de puissante magie qui règne sur les lieux.
A la tête d’un rassemblement hétéroclite d’enfants miséreux, d’adolescents paumés, d’humbles dockers, d’artisans tordus, d’alchimistes en rupture de ban et de trafiquants en mal de vengeance, Lazario entreprend de remonter la rivière qui parcourt la ville de haut en bas, entre trombes d’eau et inondations, à bord du Trousse-Bouillon, arche ­d’alliance ô combien brinquebalante, et décidément salutaire.
Malgré les succès, surtout à l’écran, de Tolkien ou de George R. R. Martin, la fantasy conserve encore une réputation littéraire contrastée auprès des lectrices et lecteurs d’autres genres. Aux côtés d’autres belles réussites, L’Eveil du Palazzo, de Léo Henry, devrait désormais tenir une place de tout premier choix parmi les textes permettant de se ­convaincre qu’il y a quelque chose à aller voir de ce côté.
On connaissait les redoutables constructions dont Léo Henry est capable lorsqu’il organise le choc minutieux entre un personnage historique et la fiction spéculative qui peut l’environner, en particulier dans Rouge gueule de bois (La Volte, 2011), autour de l’écrivain Fredric Brown et du réalisateur Roger Vadim, Hildegarde (La Volte, 2018), évocation de la musicologue, herboriste et mystique bénédictine Hildegarde de Bingen, ou Héctor (Rivages, 2023), consacré au bédéiste Héctor Oesterheld, disparu dans les premiers jours de la dictature militaire en Argentine (1976-1983). On a pu également admirer la manière dont il retourne les attendus de la fantasy au cœur du genre, avec Thecel (Gallimard, 2020).
L’Eveil du Palazzo déploie encore davantage sa science de la langue, en volutes envoûtantes, dans des dialogues mâtinés d’argot réel et imaginaire, dans des combats chorégraphiés au millimètre, dans des torsions malicieuses appliquées au sens même des mots (« captation » et « ruissellement » sont ici traités d’une façon particulièrement ­savoureuse), ou encore dans des références finement disséminées au fil du récit – qui ne nuisent jamais à la narration échevelée de l’ensemble.
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